La première lecture de ce jour raconte comment les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel, retournent à Jérusalem et montent dans la chambre haute pour prier. Marie les accompagne ainsi que quelques femmes et autres frères.

Qui aurait pu imaginer que ce petit groupe était en définitive la petite semence d’un peuple nombreux qui aujourd’hui compte plus d’un milliard de chrétiens.

En effet, ce petit groupe qui se retrouve dans la salle haute pour prier est bien modeste. C’est juste après l’ascension de Jésus. Qu’allaient devenir les Apôtres ? Leur avenir pouvait sembler bien incertain d’autant plus qu’un certain nombre de dissensions sommeillaient. Pierre, le chef de la bande, avait auparavant renié Jésus trois fois ; ce reniement a très bien pu occasionner quelques interrogations sur la légitimité de son autorité. Nous savons également qu’il existait au sein du groupe des Apôtres de grandes différences de caractère et de sensibilité. Il est fort probable que des conflits mal résolus aient pu entamer la confiance si importante dans la vie d’un groupe. Bref, l’unité de ce petit groupe peut paraître, à première vue, bien précaire et c’est plutôt rassurant car aujourd’hui, 2 000 ans après, la communion semble toujours aussi fragile et précaire au sein de l’Église catholique, traversée par des courants et des sensibilités si nombreuses.

2 000 ans après, nombreux sont les observateurs qui prédisent un déclin de l’Église catholique dans un grand nombre de pays occidentaux. Inutile d’énumérer les épreuves actuelles qu’elle traverse, vous les connaissez aussi bien que moi.

Mais ce dont nous devons aujourd’hui nous rappeler, c’est l’attitude de foi des Apôtres : elle constitue le fondement de l’Église. Cette attitude de foi se manifeste d’abord par la prière. En effet, entre l’Ascension et la Pentecôte, l’heure est à la prière. Et il n’y a pas de prière sans la foi. Dans ce laps de temps, entre l’Ascension et la Pentecôte, les Apôtres ne débordent pas d’activité mais ils prient avec Marie dans la salle haute. Ils prient d’un seul cœur.

Le voilà le secret de la véritable communion : prier d’un seul cœur animé d’une même foi dans une disponibilité totale aux dons reçus de l’Esprit Saint. Il n’y a pas de communion véritable sans cet ardent désir d’être habité par l’Esprit Saint. C’est Lui qui génère des engagements, des charismes et des vocations si divers et qui en même temps fait l’unité de l’Église. L’Esprit Saint agit d’autant mieux qu’il trouve des chrétiens unis entre eux par la même foi et la prière fervente.

Bien évidemment, l’Église d’aujourd’hui a une physionomie totalement différente de la petite communauté primitive, mais une question récurrente continue de se poser : comment penser ensemble la possibilité de prier selon des styles différents tout en restant profondément unis entre nous par la prière à l’image des Apôtres dans la salle haute. Nous devons entendre et comprendre de manière sereine les inquiétudes du Pape François au sujet par exemple des divergences dans le domaine liturgique qui risquent, à la longue, de nuire à l’unité dans la foi et la prière. N’avons-nous pas à redécouvrir ensemble l’importance et la force de la prière communautaire. N’avons-nous pas à promouvoir ensemble sa nécessaire beauté ?

Justement, Jésus, dans l’Évangile de ce jour, nous fait le privilège d’entrer dans le mystère de sa propre prière, celle qu’Il adresse à son Père. Par cette prière, Il nous fait entrer dans le mystère de sa relation à son Père. Cette relation d’amour qui unit le Père et le Fils est unique et incomparable. Et c’est précisément dans cette relation que le Christ veut nous introduire. Notre compréhension d’un tel mystère reste très en deçà de ce qu’il représente et pourtant, le Christ offre à chacun d’entre nous de pouvoir l’approcher et de venir s’abreuver aux sources même de la vie. Un tel mouvement intérieur vient inévitablement convertir l’idée même que l’on peut se faire de la prière.

Un appel pressant est donc adressé à toutes celles et ceux qui se disent appartenir au Christ : celui d’évangéliser notre prière. C’est à cette condition que des terres, intérieures à nous-mêmes, qui n’ont pas encore été évangélisées, le seront. Cet appel pressant à évangéliser notre prière est un appel à se laisser introduire dans la parfaite intimité du Père et du Fils. C’est finalement là que se situe notre entrée dans la vie éternelle qui ne se situe pas dans un au-delà de l’histoire mais qui, dès aujourd’hui, est inaugurée dans l’existence du chrétien. La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant !

Une telle entrée dans la vie éternelle requiert notre disponibilité totale, à l’image de Jésus qui, en adressant cette belle prière à son Père, sait que son départ de ce monde est imminent. Jésus s’abandonne à son Père en même temps qu’Il donne sa vie pour la multitude. La glorification du Fils procède de cet abandon et de cette confiance dans le Père.

Les Apôtres vont alors découvrir, en présence de la Vierge Marie, la force et la fécondité de cet abandon dont le point de départ obligé est justement la prière qui, nécessairement, doit manifester un total abandon à l’action de l’Esprit Saint.

Quelle merveilleuse tradition de faire correspondre l’installation d’un nouvel évêque sur sa cathèdre avec la grande prière de l’Église réunie, un seul corps nourri de la Parole et de l’Eucharistie.

Ce grand rassemblement que nous vivons aujourd’hui dit notre attente de l’Esprit Saint à l’image de l’attente des Apôtres totalement disponibles à l’action de l’Esprit Saint.

J’arrive dans une région que je ne connais pas, pour servir un diocèse que je ne connais pas et que je n’ai pas choisi, avec des personnes que je ne connais pas.

Vous accueillez un évêque que vous ne connaissez pas et que vous n’avez pas choisi.

Ça fait beaucoup d’inconnus ! Et pourtant, une paix profonde et joyeuse m’habite et j’espère qu’il en est de même pour vous. Ne sommes-nous pas un peu comme les Apôtres réunis dans la salle haute qui ne savent pas vraiment comment et où Jésus veut les conduire mais qui tout simplement font confiance aux nombreux dons de son Esprit.

Notre salle haute est certes un peu plus grande que celle des Apôtres. Mais comme eux, en cette magnifique cathédrale Saint Julien, bien arrimée sur cette belle cité Plantagenêt, nous sommes dans l’attente de son Esprit Saint. L’Esprit Saint qui a conduit Saint Julien et ses successeurs évêques dans l’exercice de leur ministère épiscopal. L’Esprit Saint qui conduit chacun d’entre nous désireux d’entrer dans cette communion qui unit Jésus à son Père. Une telle communion intérieure et personnelle ne peut que rejaillir sur tout le corps de l’Église.

Ne laissons pas les cassandres exagérer et exacerber les tensions qui peuvent exister dans l’Église mais ayons un regard d’amour, de foi et d’espérance sur l’Église du Christ. Ne laissons pas le Pape et les évêques porter seuls le souci de son unité mais efforçons-nous d’appartenir à cette « famille de Dieu » qui est une mystérieuse extension de la Trinité dans le temps. Comme l’explique Origène qui a vécu aux IIe et IIIe siècles, l’Église est pleine de la Trinité. Le Père est en elle comme le principe auquel on se réunit, le Fils comme le milieu dans lequel on se réunit, et le Saint-Esprit comme le nœud par lequel tout se réunit, et tout est un.

Les Apôtres, entre l’Ascension et la Pentecôte, sont finalement en train d’apprendre une totale disponibilité à l’action de l’Esprit Saint. Il leur faut découvrir que l’Église qu’ils sont en train de former est comme la matrice où doit se réaliser l’unité de l’Esprit qui forcément implique l’unité du Corps, un corps nécessairement organisé et non pas anarchique ou disloqué. Les Apôtres doivent ainsi faire l’apprentissage de l’unité dans laquelle tous deviennent un comme sont un le Père et le Fils. C’est un peu comme si la fécondité apostolique et pastorale dépendait principalement de cette unité. D’où l’obligation pour chaque chrétien d’adhérer joyeusement et saintement à ce don merveilleux qui nous vient d’en haut. Pour cela, il faut accepter d’être des « pauvres en Esprit ». Pour cela, il faut accepter de faire du vide dans nos vies agitées, dans nos pensées obscurcies par des clivages de toutes sortes, dans nos occupations trépidantes, dans nos projets trop humains pour laisser de la place à l’action divine. Accepter d’être vidés de nos préjugés réducteurs quels qu’ils soient, de nos suffisances destructrices et de nos idéologies dominatrices. Marie est bien notre modèle dans notre recherche de cette totale disponibilité, elle qui fut ce réceptacle parfaitement disponible à l’action de l’Esprit Saint. En se trouvant justement en prière avec les Apôtres dans la salle haute, elle préfigure ce qu’elle ne cesse d’être au milieu de l’Église que nous formons : la première en chemin.

« Que tous soient un », c’est par ces mots que Jésus conclura la belle prière qu’Il adresse à son Père et dont nous avons entendu un extrait dans l’Évangile.

« Que tous soient un » : que cette prière nous soit si familière qu’elle puisse nous engager, jour après jour, dans une réelle docilité aux appels de l’Esprit Saint.

(*) Titre de La DC.

(1) Ac 1, 12-14