Bonjour et bienvenue ! Tout est art, ici ! Là [il montre les fresques], vous, tout le monde ! Bienvenue !

Merci d’avoir accepté mon invitation. Votre présence me réjouit, car l’Église a toujours entretenu avec les artistes une relation, peut-on dire, à la fois naturelle et particulière. C’est une amitié naturelle, parce que l’artiste prend au sérieux la profondeur inépuisable de l’existence, de la vie et du monde, même dans ses contradictions et ses aspects tragiques. Cette profondeur risque de devenir invisible aux yeux d’une approche reposant sur des savoirs toujours plus pointus, qui répondent à des besoins immédiats, mais qui peinent à voir la vie comme une réalité aux multiples facettes. L’artiste nous rappelle que la réalité dans laquelle nous évoluons, même si nous n’en sommes pas conscients, est celle de l’Esprit. Votre art est comme une voile gonflée par l’Esprit et qui nous fait avancer. L’amitié de l’Église avec l’art est donc naturelle. Mais c’est aussi une amitié particulière, surtout si l’on pense aux nombreuses périodes de l’histoire que nous avons parcourues ensemble et qui appartiennent au patrimoine de tous, croyants et non-croyants. Conscients de cela, nous attendons aussi de notre temps de nouveaux fruits, dans un climat d’écoute, de liberté et de respect. Les gens ont besoin de ces fruits, de fruits particuliers.

Romano Guardini a écrit que « l’état dans lequel se trouve l’artiste lorsqu’il crée est proche de celui de l’enfant et aussi du voyant » (1). Ces deux comparaisons me semblent intéressantes. Selon lui, « l’œuvre d’art ouvre un espace dans lequel l’humanité peut entrer, dans lequel elle peut respirer, se déplacer et dialoguer avec les choses et les hommes, rendus ouverts » (2). Il est vrai qu’en travaillant dans l’art, les frontières se relâchent et les limites de l’expérience et de la compréhension s’élargissent. Tout semble plus ouvert et plus disponible. On acquiert alors la spontanéité de l’enfant qui imagine et l’acuité du voyant qui saisit la réalité.

Oui, l’artiste est un enfant – et ce n’est pas péjoratif –, cela veut dire qu’il évolue d’abord dans l’espace de l’invention, de la nouveauté, de la création, de la mise au monde de ce qui n’a jamais été vu auparavant. Ce faisant, il dément l’idée que l’homme est un être voué à la mort. L’homme doit accepter sa mortalité, c’est vrai, mais il n’est pas un être voué à la mort, mais voué à la vie. Une grande philosophe comme Hannah Arendt affirme que le propre de l’être humain est de vivre pour apporter de la nouveauté dans le monde. Telle est la fécondité de l’homme. Apporter de la nouveauté. Même dans la fécondité naturelle, chaque enfant est une nouveauté. S’ouvrir et apporter de la nouveauté : vous, artistes, y parvenez en faisant valoir votre originalité. Dans vos œuvres, vous vous mettez toujours en scène, en tant qu’êtres irremplaçables que nous sommes tous, mais avec l’intention de créer quelque chose en plus. Lorsque le talent vous inspire, vous mettez en lumière l’inédit, vous enrichissez le monde d’une réalité nouvelle. Je pense à certaines paroles que nous lisons dans le livre du prophète Isaïe, lorsque Dieu dit : « Voici que je fais une chose nouvelle : elle germe déjà, ne la voyez-vous pas ? » (43, 19). Et de nouveau dans l’Apocalypse : « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (21, 5). La créativité de l’artiste semble donc participer à la passion créatrice de Dieu. Cette passion avec laquelle Dieu a créé. Vous êtes les alliés du rêve de Dieu ! Vous êtes des yeux qui regardent et qui rêvent. Il ne suffit pas de regarder, il faut aussi rêver. Un écrivain latino-américain a dit que nous, les êtres humains, avons deux yeux : un pour regarder ce que nous voyons et un autre pour regarder ce que nous rêvons. Et lorsqu’une personne n’a pas ces deux yeux, ou seulement une partie de l’un ou de l’autre, il lui manque quelque chose. Voir ce que l’on rêve… La créativité de l’artiste : il ne suffit pas de regarder, il faut rêver. Nous, les êtres humains, aspirons à un monde nouveau que nous ne verrons pas entièrement avec nos yeux, mais que nous désirons ardemment, que nous recherchons, dont nous rêvons.

Vous, les artistes, avez donc la capacité de rêver à de nouvelles versions du monde. C’est important : de nouvelles versions du monde. La capacité d’introduire de la nouveauté dans l’histoire. C’est pourquoi Guardini dit que vous ressemblez aussi à des voyants. Vous êtes un peu comme des prophètes. Vous savez regarder les choses à la fois en profondeur et au loin, comme des sentinelles qui plissent les yeux pour scruter l’horizon et sonder la réalité au-delà des apparences. En cela, vous êtes appelés à échapper au pouvoir suggestif de cette prétendue beauté artificielle et superficielle, répandue aujourd’hui et souvent complice des mécanismes économiques qui génèrent les inégalités. Cette beauté n’attire pas, parce que c’est une beauté qui est née morte. Il n’y a pas de vie, elle n’attire pas. C’est une beauté factice, cosmétique, un maquillage qui dissimule au lieu de révéler. En italien, nous disons trucco [maquillage], parce qu’il y a quelque chose de l’ordre de la tromperie. Vous, vous gardez vos distances avec cette beauté, votre art veut agir comme une conscience critique de la société, en révélant l’évidence. Vous voulez montrer ce qui fait réfléchir les gens, ce qui les rend attentifs, ce qui révèle la réalité même dans ses contradictions, dans ses aspects qu’il est plus confortable ou plus commode de garder cachés. Comme les prophètes de la Bible, vous nous confrontez à ce qui nous dérange parfois, en critiquant les faux mythes d’aujourd’hui, les nouvelles idoles, les discours banals, les pièges de la consommation, les ruses du pouvoir. C’est un aspect intéressant de la psychologie, de la personnalité des artistes : la capacité à aller au-delà, à dépasser les choses, en tension entre la réalité et le rêve.

Et vous le faites souvent avec ironie, ce qui est une merveilleuse vertu. Deux vertus que nous ne cultivons pas assez : le sens de l’humour et l’ironie. Nous devons les cultiver davantage. La Bible est pleine de moments d’ironie, se moquant de la suffisance, de la prévarication, de l’injustice, des situations inhumaines sous couvert de pouvoir et parfois même au nom du sacré. Il est bon que vous soyez des sentinelles du vrai sens religieux, parfois banalisé ou objet de marchandisation. En étant des voyants, des sentinelles, des consciences critiques, vous m’apparaissez comme des alliés sur beaucoup de choses qui me tiennent à cœur, comme la défense de la vie humaine, la justice sociale, la fin de vie, le souci de la maison commune, le sentiment que nous sommes tous frères. Je me soucie de l’humanité de l’humanité, de la dimension humaine de l’humanité. Parce que c’est aussi la grande passion de Dieu. L’une des choses qui rapprochent l’art de la foi est que tous deux peuvent déranger. L’art et la foi ne peuvent pas laisser les choses telles qu’elles sont : ils les changent, les transforment, les convertissent, les déplacent. L’art ne peut jamais être un anesthésiant ; il donne la paix, mais il n’endort pas les consciences, il les maintient éveillées. Souvent, vous, les artistes, vous essayez aussi d’explorer le monde souterrain de la condition humaine, les abîmes, les parties sombres. Nous ne sommes pas que lumière, et vous nous le rappelez, mais nous devons projeter la lumière de l’espoir dans les ténèbres de la nature humaine, de l’individualisme et de l’indifférence. Aidez-nous à entrevoir la lumière, la beauté qui sauve.

L’art a toujours été lié à l’expérience de la beauté. Simone Weil écrivait : « La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer à l’âme » (3). L’art touche les sens pour animer l’esprit, et il le fait à travers la beauté, qui est le reflet des choses lorsqu’elles sont bonnes, justes, vraies. C’est le signe que la plénitude a été atteinte : c’est alors que nous disons spontanément : « Que c’est beau ! ». La beauté nous fait sentir que la vie est orientée vers la plénitude. Dans la vraie beauté, nous commençons donc à ressentir le désir de Dieu. Beaucoup voudraient que l’art conduise davantage à côtoyer la beauté. Bien sûr, comme je l’ai dit, il y a aussi la beauté futile, artificielle et superficielle, voire trompeuse, celle du maquillage.

Mais je crois qu’il y a un critère important pour discerner. C’est celui de l’harmonie. La vraie beauté, en effet, est le reflet de l’harmonie. En théologie - c’est intéressant - les théologiens décrivent la paternité de Dieu, la filiation de Jésus-Christ, mais lorsqu’il s’agit de décrire l’Esprit Saint, ils disent : l’Esprit est harmonie. Ipse harmonia est. L’Esprit est ce qui crée l’harmonie. Et l’artiste a quelque chose de cet Esprit pour créer l’harmonie. Cette dimension humaine du spirituel. La vraie beauté, en effet, est un reflet de l’harmonie. C’est, si je puis dire, la vertu opératoire de la beauté. C’est son esprit sous-jacent, dans lequel agit l’Esprit de Dieu, le grand « harmonisateur » du monde. L’harmonie, c’est quand il y a des parties, différentes les unes des autres, qui forment pourtant une unité, différente de chacune des parties et différente de la somme des parties. C’est quelque chose de difficile, que seul l’Esprit peut rendre possible : que les différences ne deviennent pas des conflits, mais des diversités qui forment un tout ; et en même temps que l’unité ne soit pas l’uniformité, mais qu’elle accueille ce qui est multiple. L’harmonie produit ce genre de miracles, comme à la Pentecôte. Je suis toujours frappé de penser que l’Esprit Saint est cause de la plus grande agitation - pensez au matin de la Pentecôte - et qu’il crée ensuite l’harmonie. Harmonie qui ne veut pas dire équilibre, non. Pour créer l’harmonie, il faut d’abord un déséquilibre ; l’harmonie est autre chose que l’équilibre. Ce message est d’une grande actualité : nous vivons une époque de colonisation idéologique des médias et de conflits déchirants ; une mondialisation uniformisante coexiste avec de nombreux communautarismes fermés. C’est le danger de notre époque. Même l’Église peut en être affectée. Le conflit peut se révéler sous un faux prétexte d’unité, de même que les divisions, l’esprit de clan, le narcissisme. Nous avons besoin que le principe d’harmonie habite davantage notre monde et chasse l’uniformité. Vous, les artistes, vous pouvez nous aider à faire de la place à l’Esprit. Lorsque nous voyons l’œuvre de l’Esprit, qui crée l’harmonie à partir des différences, sans les anéantir, sans les uniformiser, mais en les harmonisant, nous comprenons ce qu’est la beauté. La beauté est cette œuvre de l’Esprit qui crée l’harmonie. Frères et sœurs, laissez votre génie emprunter cette voie !

Chers amis, je suis heureux de vous avoir rencontrés. Avant de vous dire au revoir, j’ai encore une chose à vous dire, qui me tient à cœur. Je voudrais vous demander de ne pas oublier les pauvres, qui sont les préférés du Christ, de quelque manière que l’on soit pauvre aujourd’hui. Les pauvres ont aussi besoin d’art et de beauté. Certains subissent des formes de vie très entravées ; c’est pourquoi ils en ont le plus besoin. Ils n’ont généralement pas de voix pour se faire entendre. Vous pouvez être les interprètes de leur cri silencieux.

Je vous remercie et vous assure de toute ma considération. Je souhaite que vos œuvres soient dignes des hommes et des femmes de cette terre, et qu’elles rendent gloire à Dieu, qui est le Père de tous, et que tous recherchent, également à travers l’art. Et enfin, je vous demande, en harmonie, de prier pour moi. Je vous remercie.

(*) Traduction française de Violaine Ricour-Dumas pour La DC. Titre de La DC.

(1) Romano Guardini, L’opera d’arte, Brescia 1998, 25.

(2) Ibid., p. 35.

(3) Simone Weil, La pesanteur et la grâce, Bologne 2021, 193.